C’est un milieu professionnel bien spécifique, un monde qui fait encore rêver bien des jeunes en mal de voyages et d’aventures avec la promesse de centaines de destinations à portée de main. Les navigants commerciaux, hôtesses de l’air et stewards, composent un microcosme ouvert sur la planète tout entière, mais où la question de l’identité individuelle semble parfois se dissoudre inexorablement dans une existence paradoxale : au service des autres, mais coupée des autres, mécaniquement renvoyée hors du temps, hors de tout environnement stable.
La santé mentale des équipages demeure un domaine encore trop négligé par la médecine du travail et surtout par les dirigeants des compagnies aériennes dont la course à la rentabilité oriente les choix au détriment des employés, sujets en souffrance.
En décalage, la tête dans les nuages
Une vie de navigant, c’est avant tout une existence en décalage. Sur les vols longs-courriers, l’exercice est périlleux : ceux qui ont fait l’expérience d’un retour d’escale en Asie suivi d’une rotation vers la côte ouest des États-Unis peuvent en témoigner.
On jongle avec les fuseaux horaires, mais aussi avec les saisons lorsque l’on passe d’un hémisphère à l’autre au gré des rotations. Une fatigue profonde et durable s’installe rapidement, les défenses immunitaires s’amenuisent, le corps encaisse et s’épuise.
En fait, ce sont tous les décalages possibles qui s’additionnent : les levers tôt, les fins de service tard, les nuits presque blanches en vol, les week-ends sur le pont, jours fériés et fêtes de fin d’année. Et, comme si cela ne suffisait pas à pousser les plus flexibles dans leurs limites, aucune semaine ne ressemble à la suivante et les plannings mensuels ne se découvrent qu’avec un peu d’avance.
Déconnecté, dans une autre réalité
À force, c’est la valise qui fait office de domicile, les liens amicaux résistent difficilement aux absences répétées, aux indisponibilités. La famille dit qu’elle comprend, mais là aussi les attentions se réduisent : parce que personne ne saisit vraiment cette vie tellement différente, que la plupart s’imaginent vite une suite de longues vacances quand le navigant ne rêve que de quelques jours sans avion.
La vie de couple est compliquée, les moments d’intimités s’attrapent entre l’urgence et la fatigue. En contrepartie, les escales sont autant d’occasions de s’évader, une succession de petites parenthèses qui finissent par remplir davantage le quotidien que les jours de repos à la maison.
Pris entre son appartement ou son pavillon de banlieue où il n’existe jamais en rythme avec les autres, l’avion qui figure paradoxalement le seul point stable et récurrent, et l’exotisme, le fourmillement, la diversité et le confort des escales, le navigant expérimente un puissant sentiment de n’être ni ici ni ailleurs, dans un trouble qui s’apparente à de la déréalisation, comme un observateur de sa propre existence.
Il devient parfois difficile de s’engager, de fixer des objectifs, de mener les projets à leur terme. La notion du temps est également affectée, avec une chronologie qui dissout le passé dans un brouillard dense et tend à ignorer l’avenir. Les troubles liés à la mémoire sont malheureusement courants.
Variation systématique de pression
Dans ce contexte, la fatigue nourrit et entretient un état d’apathie, d’engourdissement qui contribue à ce que rien ne change.
Le terrain est plus que favorable à la dépression. Par proximité sémantique, la pathologie prend évidemment un sens particulier dans le domaine aéronautique où la pressurisation va de pair avec un risque souvent évoqué, régulièrement envisagé et toujours redouté : la dépressurisation accidentelle. Au-delà des nombreux effets physiologiques, la répétition des montées et des descentes induit un état d’instabilité permanente.
Cette variation constante entre les extrêmes se retrouve également dans le rythme de vie des navigants : des périodes d’activité intense (prise en compte, sécurité, sûreté, embarquement, service, débarquement) suivent et précèdent des périodes d’inactivité (attentes, réserve, repos). En installant dans la durée l’enchaînement pression/dépression, les spécificités du travail de navigant contribuent à un état d’instabilité chronique qui favorise aussi le développement des angoisses et des phobies.
Un autre type de pression s’exerce dans le non-dit et la culture d’entreprise. Les deux points d’appui structuraux du navigant qui devraient le protéger n’accomplissent pas pleinement leur fonction de soutien ; l’encadrement et le service médical. En effet, la santé mentale reste encore un tabou difficile à dépasser et celle ou celui qui se risque à évoquer des troubles psychiques peut tomber sous la menace radicale d’une perte de licence qui équivaut à moyen ou long terme à la condamnation suprême : la fin d’une carrière.
Un équilibre hors de portée ?
Jusqu’ici, le constat peut être lourd : fatigue chronique, détachement progressif, tunnellisation, apathie et dépression. L’enjeu, finalement, est celui d’un équilibre sans cesse mis en péril.
On ne choisit pas ce métier que pour les voyages ; le contact humain est une motivation tout aussi importante. C’est un métier de rencontres : un nouvel équipage à chaque rotation, les passagers, les gens que l’on croise en escale. Mais, il arrive que l’accumulation et le nombre finissent par remplacer la curiosité et la surprise par une longue habitude emplie de désillusions. Ce peuvent être plus de 800 passagers qui défilent en une seule journée !
Un dernier élément à signaler est particulièrement pervers, puisqu’il joue d’une force pour en faire une faiblesse. L’esprit d’équipage est au cœur du métier de navigant, indiscutablement essentiel. Pourtant, c’est un mécanisme à double effet qui, s’il renforce de manière positive le sentiment de cohésion, de confiance, d’appartenance à un groupe et le succès d’une mission, pose en contrepartie un problème majeur : une résistance à ne penser que pour soi qui peut parfois conduire à une survalorisation de l’intérêt collectif au détriment du sujet.
Lorsque l’équilibre est précaire, parfois rompu, c’est souvent dans la solitude d’une chambre d’hôtel que l’on aurait besoin de retrouver l’énergie de reprendre les commandes de sa propre vie. C’est uniquement à soi qu’il faut penser dans ces moments.
Pourquoi la psychanalyse ?
La psychanalyse va d’abord agir là où la souffrance s’exprime : dépression, fatigue chronique, angoisses, stress, burn-out, phobies, colère, frustration, etc. En aidant à se recentrer, à placer l’activité professionnelle en perspective, la cure permet de réaliser que l’on existe aussi sans l’uniforme.
On peut reprendre contact avec le quotidien qui nous semblait inaccessible : les amis, la famille, la vie associative et les intérêts personnels.
Finalement, le travail analytique consiste à émerger consciemment du brouillard, à sortir la tête des nuages pour s’intéresser à soi en retrouvant le désir et l’énergie qui faisaient peut-être défaut.
Comment suivre des séances régulières ?
Je propose des séances à distance en adaptant les horaires de semaine en semaine pour les navigants. La régularité est importante en psychanalyse, mais la disponibilité compte davantage. Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’une heure libre et d’un appel en visio avec du réseau.
Vous pouvez programmer votre séance pendant une escale, entre une balade en ville et un dîner, au saut du lit, après le sport ou juste avant un film au cinéma… ce qui vous convient le mieux ! Le seul impératif à respecter, c’est l’assurance de disposer d’un moment sans contrainte ni urgence. La séance est un espace pour soi qu’il faut préserver.
Pour les rendez-vous en présence, il est demandé de prévenir au moins 24 heures avant annulation (au-delà, le prix de la séance est dû). Pour les navigants, la ponctualité est forcément dépendante du contexte, des nombreux changements de programme qui font partie du quotidien ; je m’adapte là aussi aux circonstances.
Pourquoi ça m’intéresse ?
Avant de me lancer dans des études de philosophie, puis de rejoindre la psychanalyse, j’ai été PNC Air France pendant une dizaine d’années. Mis en ligne en juin 2001, j’ai commencé ma carrière aéronautique juste avant les attentats du 11 septembre à New York. Passé l’attrait de la nouveauté et la découverte du réseau, la fatigue s’est installée. J’ai commencé à perdre de vue les bons côtés du métier pour ne focaliser que sur le stress. Des angoisses ont rapidement prospéré sur ce terreau fertile.
En juin 2009, le crash du vol Rio-Paris m’a assommé. J’ai obtenu une affectation temporaire au sol, incapable de remonter dans un avion, et j’ai ainsi terminé mon expérience Air France assis dans un bureau du service logistique à ruminer pendant un an et demi sur ma phobie subite. J’ai pu doucement reprendre contact avec la réalité et prendre le temps d’imaginer une autre vie professionnelle.
Aujourd’hui, je reprends parfois plaisir à voyager en avion et je ne manque jamais une occasion de saluer les équipages. Dans leurs gestes, leurs attitudes, leur efficacité et leur prévenance s’accroche une certaine familiarité dont je ne peux pas totalement me défaire. Leur quotidien a été le mien, et je comprends autant le bonjour grelottant d’un embarquement long-courrier aux premières heures d’un matin d’hiver que le bonsoir mécanique et un peu hâtif d’un dernier débarquement après quatre tronçons sur court ou sur moyen.
Je suis toujours heureux de pouvoir aider celles et ceux avec qui j’ai tant partagé.